Biodiversité, Estuaire Loire

Site du Carnet : retour sur plusieurs décennies de mobilisation associative en faveur de l’estuaire

Source : Franck LATRAUBE

Les associations de protection de la nature et de l’environnement Bretagne Vivante – SEPNB et LPO Loire-Atlantique, rejointes en 2008 par la fédération régionale FNE Pays de la Loire, sont investies depuis plusieurs décennies dans la défense des sites naturels de l’estuaire de la Loire.

Alors que le Carnet, situé en rive sud de l’estuaire, fait l’objet d’un projet d’aménagement industrialo-portuaire consacré aux énergies marines renouvelables, nous souhaitons revenir sur l’historique de nos actions pour la défense de l’estuaire et exposer notre positionnement vis-à-vis de ce projet d’aménagement.

Qu’est-ce que le site du Carnet ?

Avant les années 1970, le Carnet était une île de Loire séparée des berges par le canal du Migron, sur le territoire de la commune de Frossay.

Des remblais illégaux à base de sables de dragages entre les années 1970 et 1993 ont modifié le paysage estuairien en supprimant la quasi-totalité du bras du Migron. Ces remblais ont depuis été légalisés par l’Etat. Le site de l’île du Carnet a également servi au stockage du fioul échappé de l’Erika en 1999.

Les milieux neufs apparus ont été colonisés par de nombreuses espèces animales et végétales dont beaucoup sont protégées (116 espèces protégées). Le site abrite une belle diversité d’habitats dont un habitat d’intérêt communautaire ; on y note des milieux sableux secs, des dépressions humides, des mares saumâtres, des prés salés et roselières ce qui crée une mosaïque originale.

En parallèle des opérations de remblaiement qui ont considérablement changé le site, ce dernier est surtout connu pour avoir été envisagé pour accueillir une centrale nucléaire à compter de l’été 1981. Déclaré d’utilité publique en 1988, le projet de centrale est cependant abandonné en 1997 sous la pression du « collectif Carnet » regroupant 25 associations (politiques, citoyennes et écologistes), notamment Bretagne Vivante et la LPO Loire-Atlantique, qui avaient déposé un recours en justice contre l’autorisation de remblaiement du Carnet.

La sauvegarde de ce site et sa gestion favorable à la biodiversité n’étaient pour autant pas assurées à long terme.

Le combat pour la sauvegarde de l’estuaire des années 1990 à aujourd’hui

Divers projets d’aménagement sont envisagés à partir de la fin des années 1990 dans l’estuaire de la Loire, majoritairement à l’initiative du Grand Port Maritime Nantes – Saint-Nazaire, établissement public qui possède la maîtrise foncière de nombreux terrains le long de l’estuaire. Ces projets, présentés au coup par coup et conduisant à artificialiser de nombreux secteurs naturels, sont soutenus par les élus locaux et de nombreux acteurs économiques.

Les associations Bretagne Vivante, LPO Loire-Atlantique et SOS Loire-Vivante, bien isolées à l’époque, se mobilisent et contestent plusieurs de ces projets, notamment via la saisine de la justice et la médiatisation.

Elles remportent un succès contre le projet de construction d’un terminal portuaire sur le site de Donges-Est, en rive nord de l’estuaire, qui devait notamment conduire à la destruction d’une surface importante de vasières (zones humides de grand intérêt écologique). L’autorisation du projet est annulée par la cour administrative d’appel de Nantes en 2009 sur recours des associations après qu’elles aient alerté la Commission européenne, qui avait alors menacé la France de poursuites.

En revanche, les combats engagés pour empêcher les projets menés sur le Carnet se soldent par des échecs et font craindre un grignotage progressif de la zone par une multitude de projets ponctuels.

C’est le cas du projet de port à sec porté à l’extrémité ouest du site du Carnet, qui est confirmé par la justice en 2012.

C’est également le cas de l’éolienne expérimentale du groupe Alstom et de son appontement, autorisés en 2011 par le biais d’un permis de construire précaire (et toujours présents aujourd’hui !), pour lesquels le tribunal administratif de Nantes rejette là encore les arguments des associations. Créée en 2008, la fédération Pays de la Loire Nature Environnement (depuis devenue FNE Pays de la Loire) s’était jointe aux autres associations pour contester ce dernier projet.

Autre revendication des associations non entendue par les pouvoirs publics, celle de la création d’une réserve naturelle nationale au sein de l’estuaire de la Loire pour permettre la préservation pérenne de ses composantes écologiques : faisant l’objet d’un fort rejet de la part des élus, des représentants des chasseurs et d’une partie de la profession agricole, ce projet n’a toujours pas pu voir le jour.

Nos associations siègent par ailleurs à compter de 2009 en tant que personnalités qualifiées au sein du conseil de développement, organe consultatif chargé d’émettre des avis sur les projets du Grand Port. Nous nous efforçons par ce biais d’influer sur les orientations de développement du Grand Port, bien que généralement mises en minorité sur les choix retenus. Nous siégeons également au bureau de la commission locale de l’eau de l’estuaire de la Loire, chargée d’émettre des avis sur ces projets et permettant des échanges avec les différents acteurs de l’estuaire.

Projet d’aménagement industriel : de quoi parle-t-on ?

Est évoqué depuis près d’une décennie un projet d’aménagement global du site du Carnet à l’initiative du Grand Port Maritime Nantes – Saint-Nazaire, propriétaire des terrains. Ce projet vise à implanter sur une partie du site un pôle industriel de recherche et d’expérimentation sur les énergies renouvelables, dans la continuité de l’exploitation de l’éolienne présente sur le site depuis 2012. Le Grand Port aménagerait la zone qui serait investie par des entreprises de cette filière avec leurs propres installations, qui nécessitent la proximité de la Loire.

Dès l’origine, nos associations font connaître au Grand Port et aux services de l’État leurs fortes réticences quant à ce projet, dont l’instruction se poursuit néanmoins moyennant un redimensionnement à 110 hectares contre les 160 hectares initialement envisagés sur les 395 hectares totaux du site.

Sans soutenir le projet d’aménagement porté par le Grand Port, nos associations acceptent de discuter avec ce dernier des modalités d’une implantation la moins pénalisante d’un point de vue environnemental, pour les raisons pragmatiques suivantes :

  • Après plusieurs recours perdus devant la justice pour tenter d’empêcher l’aménagement du site, qu’elles ont jusqu’à présent été les seules à combattre, il apparaît à nos associations qu’il sera très difficile de s’opposer à la réalisation de ce projet en se plaçant sur un plan légal ;
  • Le risque de la poursuite des aménagements au coup par coup du site, qui ont prévalu jusqu’à présent, est celui de l’absence totale de prise en compte de ses enjeux écologiques et d’effets cumulés importants qui aboutiraient à totalement faire perdre ses fonctionnalités au site. Bien qu’impactant d’un point de vue environnemental, un projet d’aménagement global est préférable à une multiplication de projets ponctuels en ce qu’il permet d’envisager la préservation durable d’une partie importante du site et la mise en place de mesures de gestion cohérentes d’un point de vue environnemental ;
  • Ayant retrouvé une biodiversité très riche et intéressante malgré les remblaiements dont il a fait l’objet jusqu’en 1993, la trajectoire écologique du site est néanmoins inquiétante. La fermeture des milieux par les ronciers et végétaux rudéraux, la progression des espèces invasives avérées comme le Baccharis, l’Herbe de la pampa ou encore la Grenouille rieuse, aboutissent à une régression des habitats et des espèces, à l’image des Crapauds calamites et des Pélodytes ponctués. La gestion de la zone est actuellement pour une partie effectuée par les chasseurs et les agriculteurs, sans orientation écologique ambitieuse, et pour une autre partie sans gestion ce qui contribue à cette évolution qui ne saurait perdurer. La mise en place d’une gestion écologique des parties du site maintenues en espaces naturels offre de ce point de vue une opportunité d’inverser la trajectoire écologique que le site connaît depuis plusieurs années.

Il est par ailleurs à relever que le blocage de la demande de création d’une réserve naturelle nationale pénalise l’adoption du scénario souhaitable de l’absence totale d’artificialisation de la zone, associée à une gestion environnementale.

Nos exigences dans le cadre de l’aménagement de la zone

Dans l’hypothèse où le projet d’aménagement serait mené à son terme, nos associations exigent qu’il soit réalisé selon des modalités permettant d’assurer autant que possible la prise en compte de la sensibilité écologique du site, à savoir notamment :

  • Une gestion conservatoire des 285 ha du site maintenus en espaces naturels, permettant d’améliorer la qualité des habitats actuellement en régression. Ceci a d’ores et déjà donné lieu à l’adoption d’un arrêté préfectoral de protection de biotope en 2018, protection réglementaire souhaitée depuis de nombreuses années ;
  • Un aménagement conditionné à l’existence d’une réelle demande de la part des entreprises de la filière des énergies renouvelables ;
  • La réversibilité des aménagements réalisés sur le site, permettant de favoriser la remise en état du site à terme, également demandée par le Conseil scientifique de l’estuaire de la Loire;
  • Des mesures compensatoires ambitieuses et donnant lieu à un suivi pérenne dans le temps.

Si le projet doit être engagé, nous serons particulièrement vigilants aux conditions de sa mise en oeuvre. En particulier, nous ne nous interdisons en rien de contester les autorisations de certaines implantations qui nous paraîtraient contraires aux conditions de l’aménagement d’ensemble du site et de porter plainte pour des travaux qui seraient effectués de façon illégale. La réalisation des mesures compensatoires devra par ailleurs être conforme aux engagements du porteur de projet.

En conclusion

Résultante d’années de lutte pour la sauvegarde de l’estuaire de la Loire et de compromis pragmatiques pour limiter l’impact des activités économiques sur celui-ci, le positionnement que nous assumons sur ce dossier peut évidemment être critiqué. Il l’est notamment depuis plusieurs semaines par un collectif de lutte contre l’artificialisation des terres agricoles et naturelles.

Nous nous réjouissons que d’autres volontés se manifestent depuis peu pour revendiquer la protection des milieux naturels de l’estuaire de la Loire, combat que nous menions jusqu’à présent de façon isolée. Toutes les énergies sont bonnes à prendre pour peser dans les choix d’aménagement des prochaines années.

Les diverses composantes du combat écologiste peuvent être amenées à adopter des stratégies différentes pour défendre leurs convictions, selon des approches qui sont le plus souvent complémentaires. Si le débat a toute sa place quant à la pertinence de telle ou telle stratégie, nous estimons que ce débat doit être mené dans le respect des différentes structures concernées. La présentation biaisée de notre positionnement et les invectives dont nous sommes l’objet, injustes et caricaturales, font plus de mal que de bien au combat écologiste.

Investies dans la défense de l’estuaire de la Loire depuis les années 1970 et seules à se battre pour la défense de ses caractéristiques écologiques depuis l’abandon du projet de centrale nucléaire en 1997, les associations de notre mouvement n’ont de leçons de militantisme à recevoir de personne.

Mise à jour : 4 septembre 2020

À propos Benjamin Hogommat

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